Notre professeur de français de 1ère (dont la mission était donc de nous préparer au bac français), nous avait posé cette devinette : quel est le meilleur moment dans l'amour : avant, pendant, ou
après ? Réponse : avant, parce qu'après, c'est "pendant".
Si l'on pose la même question en matière de vin (quel est le meilleur moment du vin), la réponse la plus évidente serait : pendant. Pendant qu'on le boit. Forcément. Il ne semble y avoir aucun
doute là-dessus. Et pourtant, est-ce bien si clair que çà en a l'air ?
Déjà, dans le pendant, il existe une multitude de moments, une infinité de "pendants". Le tout début du pendant, lorsque l'on porte le verre à son nez, et que l'on commence à découvrir les
arômes, les uns après les autres, leurs associations, leurs enchevêtrements, leurs frottements, leurs mariages. N'est-ce pas un beau moment que celui où l'on se regarde, complices, heureux
d'avoir été séduits ? Vient ensuite la suite du tout début, lorsque l'on porte le verre à la bouche, confirmant voire amplifiant les premières impressions olfactives.
A l'autre bout de la chaîne, la toute fin du pendant, ce que certains pourraient comparer à un orgasme, lorsque le vin est à son apogée, qu'il est complètement ouvert, mais qu'il va bientôt
disparaître. Moment merveilleux et pourtant le plus triste.
Entre les deux, on assite à l'évolution du vin, à son enrichissement, à ses digressions, et à ses associations avec la nourriture.
"Les pendants" semblent en tout cas être le meilleur moment du vin. Semblent ?
Il y a quelques années de cela, j'avais entendu une interview de Yannick Noah, disant qu'il était fou de vin, qu'il avait une cave, qu'il pouvait y passer deux heures d'affilée, à ranger ses
bouteilles, à leur parler, et qu'alors il se sentait bien, il n'était pas dérangé par le téléphone, personne ne venait l'emmerder.
Lorsque l'on a un comportement très différent des autres, on est considéré comme anormal, voire fou. Lorsque le même comportement est pratiqué par la très grande majorité, la normalité change de
camp. C'est ainsi que je me suis senti moins seul et moins anormal lorsque j'ai entendu que le personnage préféré des Français avait les mêmes habitudes que moi.
Et en effet, le plaisir peut être immense de passer plusieurs dizaines de minutes dans sa cave, à ranger des bouteilles qui le sont déjà. Les ranger signifie alors que l'on sort les bouteilles
avant de les replacer au même endroit, qu'on les regarde, qu'on imagine leur goût, les mets avec lesquels on va pouvoir les associer, et la meilleure façon de les consommer pour que le plaisir
des convives soit le plus fort possible. Imaginer ce plaisir est déjà un plaisir.
Ensuite, on peut citer tous les autres avants. L'achat, par exemple. La visite de la propriété, la promenade dans de beaux paysages, la conversation avec le vigneron. Ou bien la longue
conversation avec le caviste, qui a déjà bu ce vin, et cherche à nous transmettre le plaisir qu'il en a retiré. C'est le bien avant.
Il y a aussi le juste avant, c'est à dire le moment où l'on présente la bouteille sur la table. Même s'il est mal vu d'être un buveur d'étiquette, cette dernière peut néanmoins participer au
plaisir. Les invités, par leur regard, montrent qu'ils apprécient que vous avez sorti, pour eux, une bouteille qui a l'air de sortir de l'ordinaire. A contrario, il existe un plaisir, solitaire
celui-ci, au moment de présenter la bouteille, d'imaginer la surprise des invités lorsqu'ils auront goûté un vin que l'on sait excellent, mais dont l'étiquette laisse supposer le contraire.
Il y a ensuite l'ouverture de la bouteille, le bruit du bouchon, le bruit du liquide dans les verres, la couleur qui laisse présager le meilleur, et l'attente impatiente que tout le monde soit
servi avant de pouvoir enfin passer au "pendant".
Quant à l'après, il n'est pas à négliger non plus. Parler du souvenir d'un bon vin peut être aussi un grand plaisir. Puis vient le moment où l'on va racheter, revisiter le domaine, reranger la
cave... C'est à nouveau l'avant, mais cet avant n'est plus tout à fait le même.
Le plus grand plaisir est donc finalement celui qui marie le plaisir direct ressenti au moment de la consommation, le souvenir agréable de ce plaisir, et l'imagination de son renouvellement.
Vous allez me dire que le développement est bien long pour en arriver à cette conclusion aussi banale : le meilleur moment du vin, c'est tout le temps.