Dans bientôt un an, on va commémorer le début de la Première Guerre Mondiale. Que le temps passe vite ! Dire qu'il n'y a plus en France un seul Poilu. Va t-on oublier cette époque, la reléguer dans les livres d'histoire, alors que ce fut l'un des événements les plus meurtriers, les plus destructeurs, et même, selon moi, l'un des pires crimes contre l'humanité que l'on ai connu.
La façon dont on présente, en France, sur les bancs de l'école et les livres d'histoire officielle, cette période, est à mon humble avis partiale et orientée. Cette guerre nous a été présentée comme un combat d'un pays démocratique, aux idéaux nobles, civilisé, contre un agresseur impérialiste, militariste. Nous étions dans notre bon droit, et c'est justice que nous ayons gagné. Si nos anciens ont souffert dans les tranchées, c'est du fait de ceux d'en face, mais toute la nation était derrière eux et leur sacrifice héroïque n'a pas été vain.
Néanmoins, il ressort de ces quelques livres majeurs que les combattants n'ont pas toujours vécu les événements tels qu'ils ont été présentés par la suite. J'ai ainsi choisi 4 livres historiques, plus un cinquième, un roman moderne.
Henri Barbusse, Le Feu : le plus militant : Henri Barbusse s'est engagé, à l'âge de 41 ans, sur le front, où il a participé aux combats. Le Feu est un roman tiré des notes qu'il a prises sur place. L'auteur prend le rôle de témoin plus que celui d'acteur, pour mettre en valeur les simples soldats, dans leur vie quotidienne, faite d'inconfort et d'horreur. C'est simple et direct, comme un reportage en caméra cachée.
Roland Dorgelès, Les Croix de Bois : le plus dur : dans ce livre, l'auteur s'efface également pour n'être que témoin, des actions et des sentiments. Il raconte, les différents épisodes de la guerre, lui donnant un visage grâce à des soldats ayant un nom, une personnalité, acteurs de l'histoire. Ce livre ne suit toutefois pas un fil, mais présente plutôt des épisodes différents, de la vie quotidienne et des combats.
J'ai trouvé que le début présentait une vie presque normale, et que l'horreur allait crescendo. Et comme dans tous ces romans, les personnages disparaissent les uns après les autres.
Que sont finalement ces soldats, réels ou romancés sinon de pauvres types sacrifiés pour une cause à laquelle ils ne croient plus vraiment mais qui luttent toujours, avec un courage inouï, sans révolte. Est-ce du patriotisme ? Du fatalisme ? L'impossibilité de se sortir d'un tourbillon que l'on ne maîtrise plus ? Certainement tout cela à la fois.
Il est maintenant indispensable de voir ce que les Allemands ont écrit, de la façon dont ils ont vécu l'événement.
Ernst Jünger, Orages d'Acier : le plus sauvage : Ernst Jünger était un écrivain allemand, mort à plus de 100 ans. Il a combattu pendant la Première Guerre Mondiale dans les troupes de choc, en tant que lieutenant. Par rapport au Feu ou aux Croix de Bois, son récit insiste davantage sur les combats, très durs, très sauvages, au cours desquels il semble faire preuve d'un courage et d'une audace incroyables. Il avance, tue, résiste, est blessé plusieurs fois, mais ne semble ressentir ni pitié ni haine. Il combat, tue, sans plaisir, mais sans remords, comme s'il devait le faire. En face, ce sont des hommes, avec lesquels on aurait pu sympathiser, mais les circonstances ont décidé qu'il fallait les tuer. C'est l'absurdité de la guerre dans toute sa splendeur.
Il faut défendre son pays, contre un ennemi auquel on ne voulait pas forcément de mal au départ.
Erich Maria Remarque, A l'Ouest rien de nouveau : le plus pacifiste : le narrateur est ici un jeune soldat imaginaire. Lui et ses camarades de classe, encouragés par un professeur, partent au front par pacifisme. Toutefois, leur vision change très vite devant l'imbécilité de la vie militaire, les brimades, les injustices et la tyrannie des petits chefs. Leurs sentiments changent encore davantage devant l'horreur des combats, qui fait disparaître les camarades les uns après les autres, après des journées de souffrance et d'inconfort.
Ils découvrent l'absurdité de cette guerre, les grands chefs qui les envoient à la mort sans hésiter, et aussi le décalage, le fossé entre ceux qui ont vécu les tranchées et ceux de l'arrière, incapables de comprendre quoi que ce soit à la vie de soldat. Il y aura désormais ce sentiment de ne pas pouvoir raconter l'horreur, face à l'incompréhension voire l'indiférrence. Les soldats ne seront finalement jamais vraiment réintégrés dans une société qui les a envoyés à l'abattoir avant de les rejeter. C'est certainement l'un des points communs entre la France et l'Allemagne, même si en Allemagne va s'ajouter le sentiment d'avoir été injustement vaincu et traité, conduisant de nombreux soldats vers des groupes extrêmes.
On peut voir aussi, dans A l'Ouest rien de nouveau, que le sentiment patriotique existait en Allemagne, qu'il était aussi sincère qu'en France, et que les Allemands se défendaient contre une France impérialiste, envahissante et revencharde. Comme les Français, les Allemands étaient dans leur bon droit.
En lisant ces quatre récits, on essaie de se mettre à la place de ces soldats qui ont vécu l'enfer, et on se demande toujours comment des responsables politiques ont été capables de sacrifier leur jeunesse, donc leur pays, de supprimer autant de millions de vies, d'en briser autant d'autres, avec autant de suffisance et de désinvolture.
On se demande aussi comment ces soldats, qui ne semblent pas ressentir de haine pour leur adversaire, ont pu supporter autant de vaines souffrances, autant d'injustices, et surtout ont pu accepter d'aller à la mort aussi facilement.
Le cinquième livre que je souhaitais évoquer est un roman moderne, écrit en 2000 par Xavier Hanotte, écrivain belge francophone. Son titre est Derrière la Colline. Ce n'est pas un roman à proprement parler sur la Première Guerre Mondiale, mais le personnage central, un poète anglais, participe à la bataille de la Somme, qui prend une place prépondérante dans le roman.
On y retrouve donc la guerre de tranchées, parallèlement à l'évolution du personnage principal.